Un prix, quelle drôle d'idée, moi
qui n'en ai jamais gagné, qui chante la trébuche et les matins de rien, ému
pour toujours par le petit silence dans les yeux des perdants, me voilà dans
l'embarras. "Essayer encore. Rater encore, rater mieux" disait
Beckett. Tomber c'est voler un peu. Un prix de poésie; le prix du raté en
beauté ! Le prix du raté mieux. La poésie dit merde et merci. Aujourd'hui
ce ne sera que merci.
C'est la poésie qui me tient
debout. Un jour quelqu'un m'a montré comment ouvrir un livre comme on ouvre une
fenêtre, il m'a invité dans son monde - était-ce Max et les Maximonstres,
ou Le vieil homme et la mer ou les chansons de Brel ou la Charogne
de Baudelaire ? Je ne sais plus- mais depuis j'ai gardé en tête que le monde
était plus que ce qu'il paraissait être et ça m'a tenu chaud. On n'écrit pas de
la poésie pour servir à quelque chose, ou pour gagner quelque chose, ou pour
être le premier. On écrit pour partager, pour remuer, pour hurler, pour tenir,
pour dire merde et merci. On écrit pour aiguiser sa tendresse. On écrit pour
faire quelque chose de toute la beauté et l'horreur mêlées du monde qui nous
tombe chaque jour sur les bras. Il n y' a que l'art pour nous aider à ça
; faire
quelque chose de toute la beauté et l'horreur mêlées du monde qui nous tombe
chaque jour sur les bras.
C'est un combat insignifiant et magnifique que mènent des centaines d'hommes et
de femmes (écrivains mais aussi éditeurs, libraires, profs, bibliothécaires) et
aujourd'hui, en honorant les mots de chacun des auteurs que vous avez lu et en
m'invitant ici, en saluant le travail de mon éditeurs Alma et en choisissant
mon gâteau de miettes, vous me remplissez de bonheur et de fierté, puisque le
temps de quelques poèmes nous avons partagé ce quelque chose d'immonde et de
magnifique, nous avons parlé la même langue de rien qui tient la main et nous
rend plus grands que nos manques.
J'aime beaucoup le nom de ce prix
- Copo - qui consonne avec les copeaux de bois et rejoint la famille des petits
rien qui me sont chers à récolter. Il y a toutes sortes de façon d'écrire de la
poésie. Vous trouverez toujours quelqu'un pour vous dire ce qu'elle doit ou ne
doit pas être. Pour moi elle n'a pas de leçon à donner. Elle se débrouille,
comme nous, comme ceux qui la font ou la lisent, elle fait avec et sans, et
c'est très bien comme ça. Car ainsi tout est possible, tout est permis. Pas de
règle poussiéreuse, pas de dogme, pas d'exclus. Des auteurs comme Eugène
Guillevic, Antoine Emaz, Jean-Claude Pirotte, Pierre Autin-Grenier ou Richard Brautigan et Charles
Bukowski me l'ont appris. Tout est permis. L'humour, les gros mots, le
quotidien, la fantaisie, la crudité, la douceur, toutes les gammes de couleurs.
Libre et honnête c'est tout ce qui compte. Pour moi elle est copeaux, petits
morceaux de moi qui tombent au fond de l'encre, brindilles et miettes, récolte
minuscule. Dire autrement pour voir autrement. À vous d'en faire ce que vous
voulez. Le pas de côté, l'arme de poing, la lettre d'amour. Aujourd'hui c'est
un copeau d'or et de sourires que je ramène chez moi. Merci !
Les arbres les plus émouvants ne
poussent pas trop droit. J'ai passé 3 fois mon bac et 6 fois mon permis de
conduire. Je reste procrastinateur forcené et rêveur patenté, gentiment
inadapté. J'ai toujours, entre autre, un sérieux problème avec l'orthographe et
la grammaire. Je me souviens très bien de ce soir lointain de conseil de classe
de troisième dont j'étais sorti en larme parce que ma prof de français
conseillait à ma mère de ne surtout pas me mettre en seconde littéraire car je
n'avais pas le niveau. Elle s'est trompée. Et si vous avez été réunis autour de
ces livres par vos enseignants c'est qu'ils ne se trompent pas, eux, sur le
pouvoir des mots. C'est pourquoi je suis particulièrement heureux d'être adoubé
par des lycéens. C'est une belle occasion de vous dire que tout est possible.
Qu'il y a des revanches qui ne sont pas des vengeances. Ne lâchez rien. Votre
rage, votre solitude, vos complexes, votre mauvaise humeur, votre belle
récalcitrance. Gardez tout. Et faites en quelque chose. Vous avez ce pouvoir.
Vous êtes beau. Vous nous sauvez.
Thomas Vinau
4 commentaires:
Bravo et beau message de transmission, je suis à peu près certain que quelques un(e)s un jour repenseront à tout ce que tu leur dis là et t'en seront reconnaissant. Et Brautigan lui n'est jamais venu dans ton lycée... (enfin je ne sais pas après tout :) )
La poésie c'est un peu une association de prêts et d'échanges d'organes et d'humeurs : on embarque une nouvelle paire d'yeux (ou un seul œil) par ci, un bout de cœur par là, une demi-livre de tripes, un gros brin de rage ou trente centimètres cubes de démangeaisons en tous genres... Et suite à cette opération, souvent et par bonheur rien n'est tout à fait comme avant.
Émouvant, tu as dus recevoir juste après une pluie d'applaudissement.
j'aime bien le "Il y a des revanches qui ne sont pas des vengeances". J'étais fâché aussi avec l'école, très, enfin..., c'est l'école qui a commencé.
J'aime beaucoup cette idée d'échange d'organe ! Merci vous deux
Merci pour ce beau texte qui me fait penser à celui que vous aviez écrit et publié ici suite aux attentats d'il y a 5 mois (et dont j'ai lu des passages à mes élèves...). J'aime votre façon brute, simple, prosaïque et tendre d'empoigner les mots et la poésie.
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